Monsieur TRICHET a tort
Publié sous le titre « l’indépendance de la BCE ne doit pas la rendre
sourde », Le Monde, 30 août 2007
Le débat entre la France et la Banque centrale européenne
(BCE) a repris suite à la réponse ferme de son président, Jean-Claude Trichet,
mercredi 18 juillet, vis-à-vis de la position adoptée par le secrétaire d’Etat aux
affaires européennes, Jean-Pierre Jouyet, dans un
entretien paru le même jour au quotidien International
Herald Tribune. Ce dernier affirmait qu’il était possible « d’influencer les décisions de la Banque centrale européenne »
dans le cadre de discussions au sein de l’Eurogroupe.
Il a parfaitement raison. Et M. Trichet a tort d’invoquer à ce propos l’article
108 du traité européen sur l’indépendance de la banque centrale.
Que dit le traité ?
L’article 105 du traité de Maastricht stipule
que « l’objectif principal du SEBC
est de maintenir la stabilité des prix. Sans préjudice à l’objectif de
stabilité des prix, le SEBC apporte son soutien aux politiques économiques
générales dans la communauté en vue de contribuer à la réalisation des
objectifs de la communauté tels que définis à l’article 2 ». Et cet
article 2 précise que « la
communauté a pour mission (…) de promouvoir un développement harmonieux et
équilibré des activités économiques dans l’ensemble de la communauté, une
croissance durable et non inflationniste respectant l’environnement (…) un
niveau d’emploi et de protection sociale élevé (…) »
Nul besoin d’être expert dans la
lecture des traités internationaux pour en déduire que la BCE a deux objectifs
hiérarchisés. S’il y a un « objectif
principal », il y a forcément un objectif secondaire. Il s’agit donc
d’un mandat dual hiérarchique et non d’un mandat unique comme le président de la BCE semble le concevoir.
L’objectif principal est la stabilité des prix, l’objectif secondaire est le
soutien aux politiques économiques générales de l’Union européenne et par
définition (art. 2) : la croissance, l’emploi et la protection sociale.
Attention, ce n’est pas un mandat
dual comme aux Etats-Unis. Il n’entre pas dans le mandat de la BCE de soutenir la croissance,
ni même de s’en inquiéter. Sur ce point, le président Trichet a raison. La BCE doit soutenir les
politiques de croissance, mais elle n’en est pas à l’initiative.
Apporter son soutien
Le traité ne dit rien sur la
forme du soutien et il n’y a évidemment aucune pratique en la matière pour nous
éclairer. On peut penser que le président de la BCE doit, tout d’abord, prendre connaissance des
politiques économiques suivies ou souhaitées. Selon quelle procédure ?
Certainement à travers l’Eurogroupe, qui est le seul
interlocuteur pouvant exprimer un choix
collectif en la matière, et surement pas à travers la voix d’un Etat
particulier et encore moins d’un chef d’Etat. La BCE doit ensuite prendre des mesures – le traité
dit contribue à la réalisation – , les annoncer et les mettre en œuvre. Là
encore, la procédure reste à définir.
Peut-il y avoir
contestation ? En d’autres termes, que faire en cas de désaccord entre le
président de la BCE
et celui de l’Eurogroupe ? Et cela sans remettre
en cause l’indépendance de la BCE. Il n’y
a que deux solutions : la discussion ou le recours devant une juridiction
européenne compétente. Le plus raisonnable, comme le pense Monsieur Jouyet, est la discussion. L’indépendance n’implique pas la
surdité. Invoquer l’article 108 pour écarter tout débat sur la politique
monétaire est donc en contradiction avec l’article 105 du traité.
Reste l’argument de la stabilité
des prix. Monsieur Trichet sait parfaitement que ce concept n’est défini nulle
part dans le traité et donc que la contrainte qu’il représente peut être
desserrée. La BCE
retient 2%, mais d’autres pays (Canada, Nouvelle-Zélande, Australie) s’en
tiennent à 3%. Que choisir ? Qui doit choisir ? Monsieur Jouyet a raison, on doit avoir « des discussions plus ouvertes ».
Jean-François GOUX
Economiste
Professeur à l’Université Lumière
Lyon 2
Mail : goux@gate.cnrs.fr